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Direction Tobago

Ou la vie en machine à laver

Nous quittons la Martinique avec pour projet de rejoindre rapidement un chantier afin d’effectuer les quelques travaux à faire sous la ligne de flotaison. Nous sommes mi-Décembre, et après appels aux différents chantiers, il se trouve qu’ils ferment pour les fêtes et ne rouvrent qu’en début d’année. On prévoyait de sortir le bateau à Cariacou, mais étant donné que l’on doit attendre plus de 2 semaines on se dit qu’il serait sympa de pousser la navigation plus loin, et de sortir le bateau à Trinidad. Les prix y sont plus intéressants, et l’île plus grande nous offrira plus d’activités pour patienter avant les travaux. On part donc sur l’idée de rejoindre Tobago qui est plus au nord, si le vent et les courants nous le permettent, avant d’aller ensuite à Trinidad.

Il y a environ 200nm à faire. Dans des conditions optimales, ce serait une navigation de 2 jours.

Nous commençons la route en passant sous le vent de Sainte-Lucie. Nous sommes partis de nuit et nous découvrons les côtes Sainte-Luciennes au lever du jour. Un vent suffisant nous pousse tranquillement vers le sud. Jusqu’ici, tout est agréable. Nous passons le canal entre Sainte-Lucie et Saint-Vincent, puis avancons le long de la côte quand le vent commence à tomber.

Pétole.

Nous nous sommes trop rapprochés de l’île (3kms), et nous sommes déventés par elle. Le bateau commence à rouler, les voiles battent au gré du roulis. On prend notre mal en patience. 1 heure. Puis 2. Puis 4. Puis on fait des quarts alors que nous sommes à la dérive, c’est très frustrant. 20 heures passent comme ca, et au petit matin, comme pour nous consoler de cette dernière journée qui a mis nos nerfs à rude épreuve, nous voyons une baleine à bosse passer à quelques centaines de mètres de nous. Ca suffit à nous réjouir.

Au loin nous voyons un grain s’approcher de nous. Serait-ce annonciateur d’une petite brise ? Oui ! Jolly Jumper gonfle enfin ses voiles et se met à avancer. Jamais je n’ai autant apprécié prendre un grain. Il nous permet de sortir enfin de cette dévente infernale et de rejoindre l’archipel des Grenadines. Nous décidons de faire une escale sur l’ïle de Canouan afin de nous reposer correctement une nuit, et préparer le bateau pour la suite de la navigation qui s’annonce plus musclée.

C’est pas un grain que j’vois là ?!

Juste avant d’arriver sur Canouan, un mur d’eau s’approche de nous. Ca a l’air assez costaud, je prends un ris. Le grain s’avère effectivement sévère, pas de regret d’avoir pris ce ris, on avance encore à un bon 6knts, je suis trempé en 5 secondes. Les bateaux que je voyais venir vers moi quelques minutes auparavant sont rendus invisibles tellement le rideau d’eau qui s’abat sur nous est épais. Ce moment semble interminable mais au moins on avance bien ! Au bout de 20 bonnes minutes la visibilité revient et nous sommes à l’entrée de la baie. Nous avons tout juste le temps de mouiller quand la nuit tombe. Nous pouvons enfin nous reposer correctement.

Le lendemain matin, après avoir refait l’épissure de notre étai largable, on y endraille une voile pour remonter au vent, on installe des lignes de vie neuves, puis on lève l’ancre.

Les premières heures de navigation se déroulent correctement bien qu’on se fasse bien secouer. Je tiens la barre plutôt que de laisser le pilote automatique, car je peux ainsi mieux optimiser le cap et remonter au vent dans les rafales. On enchaine grains sur grains, si bien que je deviens rodé à la prise de ris pour réduire la voilure dans les surventes qui les accompagnent. Le vent a forci à +20knts établis, la mer est bien formée avec des vagues à +2m. Jolly Jumper saute fièrement sur chaque vague. Sur certaines plus grosses que d’autres (et moins bien négociées…), il retombe violemment dans un tel fracas qu’on se demande si quelque chose n’a pas cédé. Mais non, notre monture continue sa route comme si de rien n’était… C’est loin d’être confortable (à tel point que Serena découvre de nouveaux usages au seau), mais on avance à une vitesse correcte, sur un cap satisfaisant.

La nuit arrive, et avec elle la fatique. Nous sommes à la nouvelle lune, ce qui veut dire une nuit bien sombre. Il devient quasi impossible d’anticipier les vagues avant qu’elles nous maltraitent. On scrute le ciel dans l’espoir d’apercevoir si un grain viendra nous jouer des tours. A chaque tâche sombre venant obscurcir les étoiles, on se demande à quelle sauce on sera mangé.

La nuit avance avec en guise de bande sonore le sifflement du vent, le brouhaha des vagues qui déferlent sur la coque, et le tremblement du gréement lorsque le bateau vient s’écraser dans le creux des vagues. Une forme semble bouger à côté de moi. Serait-ce la fatigue qui me joue des tours ? Ca fait bien 20H que je barre en continu, ne laissant le pilote travailler à ma place que lorsque je vais en pied de mât prendre ou relacher un ris. Dans la nuit noire, la fatigue aidant, la confusion s’empare facilement des esprits. Mais non, je ne rêve pas, il y a bien un oiseau qui me tourne autour. Entre le vent qui souffle en rafale et le bateau qui gigote dans tous les sens, c’est avec beaucoup de difficultés qu’il vient se poser sur le panneau solaire à coté de moi. Il m’accompagnera une bonne partie de la nuit, me quittant parfois quelques minutes pour voler autout de JJ comme pour vérifier que tout va bien, avant de se poser à nouveau à coté de moi.

Au bout d’un moment je ne tiens plus, il faut que je dorme un peu. Je remets le pilote auto, tant pis pour le cap. Me voila en ciré, allongé au fond du cockpit, l’écoute de grand-voile dans une main, prêt à choquer, dans l’autre un timer calé sur 20 minutes pour vérifier qu’on ne croise pas une autre embarcation, et me voila parti pour 2h de sommeil entrecoupées soit d’une sonnerie, soit d’une vague qui vient me recouvrir pour me rappeler que je ne dois pas dormir trop profondément. Heureusement que notre oiseau veille.

Un sommeil bien reposant, j’vous dis !

Le soleil finit par pointer son nez, et avec lui l’environnement devient (un peu) moins hostile. On voit enfin les vagues qui nous maltraitent. On peut mieux prévoir les grains. Avec mes 2 heures de sommeil, me voila ragaillardi ! Notre oiseau a dû estimer qu’on n’avait plus besoin de lui, il a disparu. Nous arrivons dans une zone de courants contraires qui nous sappe le moral. On lutte face aux éléments pour au final n’avancer que très peu, à tel point qu’on se pose la question de changer de destination pour écourter ce calvaire. Mais on tient bon, et en début d’après midi nous sommes en vue de Tobago ! Le soulagement est vite estompé par la triste réalité : nous sommes encore loin, et surtout nous sommes toujours au milieu de ce satané courant.

Ca ne sera qu’au coucher du soleil que nous entrerons dans la baie de Charlotteville. Nous sommes enfin abrités de cette fichue houle quand un dauphin vient saluer notre arrivée. La baie étant entourée de montagne, naturellement le vent tombe, et c’est en profitant de chaque courant d’air qu’on se traine jusqu’au mouillage qu’on avait repéré. Entre les déventes, les courants contraires et les vagues imposantes, cette navigation qui aurait pu se faire en 2 jours nous aura pris au final plus de 4 jours. C’est épuisés mais satisfaits qu’on se met au lit pour une repos bien mérité.

Au reveil on contemple la beauté du paysage qui nous entoure. Les montagnes à la végétation luxuriante sont clairsemées de quelques habitations colorées. Autour de nous il y a très peu de bateaux, hormis les barques de pêcheurs typiques d’ici, les libellules, reconnaissables avec leurs deux bambous de chaque côté, tels des antennes. Au dessus de nous les pélicans avec leur allure d’animal préhistorique tournent pour repérer leur proie avant de plonger sur elles avec la grâce d’un dindon sous morphine.

Pirates Bay, Charlotteville, Tobago

Après ce reveil contemplatif, on se prépare à aller sur terre faire les formalités d’entrée, et là : LE DRAME. Impossible de remettre la main sur le passeport de Serena. “Mais pourtant il était !” C’est parti pour 1h à retourner le bateau de fond en comble. Toujours introuvable. Bon, on va quand même aller voir les autorités avec tous les papiers en notre possession, ca pourra peut-être passer.

A peine arrivés sur terre, nous sommes charmés par la ville et ses habitants. Chacun y va de son “Yeah man, how are you?”

Les peintures typiques des barques Les rues de Charlotteville Booby Island (gni gni gni, booby)

On découvre le batiment des autorités ouvert, mais vide, personne. On appelle un numéro placardé sur une porte. Une femme nous répond qu’elle est en train de se faire à manger, et qu’elle pourra être là dans 1 ou 2H. La gestion a l’air assez “roots” , mais ce ne nous pose pas de problème, on repassera après avoir mangé nous aussi. On se balade dans la ville, on prend deux Carib pour trinquer à ce nouveau pays que nous découvrons, puis nous nous installons à un restaurant où on découvre une spécialité de Trinidad-et-Tobago : les Doubles. Doooooo-beeeeeeulz…

Les gens de la tables d’à coté sympathisent avec nous, et nous voilà invités pour passer le réveillon de Noël. Décidement on se sent vraiment bien accueillis ici !

Vue sur le cimetière Ici aussi y’a le goût du tuning

Le repas terminé, il est temps de retourner faire ces formalités. La femme des douanes que nous avons eu au téléphone nous offre une part du repas qu’elle préparait plus tôt, nous confirmant que l’ambiance ici est à la convivialité. Nous attaquons la suite interminable de formulaires à remplir avec elle. Nous nous délestons d’environ 100€, puis nous allons voir la personne qui s’occupe de la santé pour remplir quelques formulaires de plus, pour ensuite remplir toute une nouvelle floppée de formulaires avec la personne qui s’occupe de l’immigration. Une fois tout rempli, c’est la douche froide : sans le passeport, elle nous oblige à quitter le pays. “Retournez en Martinique”. Impossible de négocier quoi que ce soit, et on doit même payer en plus (et évidemment remplir encore des formulaires). Fini la convivialité avec cette personne. Elle ne doit pas être d’ici !

Tout se chamboule dans nos cerveaux. Pas de passeport = Fini le voyage.

Serena retourne au bateau dans l’espoir de retrouver son passeport. Moi je m’ouvre une Carib qui ce coup-ci a un fort goût de déception. Quelques minutes plus tard le téléphone sonne : “C’est bon, je l’ai ! Il était bien !” Soulagement. Nos coeurs ont fait les montagnes russes en quelques heures.

Nous voilà de retour avec la personne de l’immigration, mais elle ne veut rien savoir. Elle a signé un papier, maintenant il nous faut une clearance de sortie d’un autre pays pour pouvoir revenir. Et hop, on reprend notre ascenseur émotionnel. La rage se mélange à la tristesse. Nous avons 24H pour partir. Un stratagème me vient à l’esprit : il y a un deuxième port d’entrée pour faire les formalités ne pourrions-nous pas y aller recommencer de zéro comme si de rien n’était ?

Le soir il y a un événement au village. Concert, repas, tombola. On y va pour se changer les idées. On y découvre le steel pan, certaines spécialités culinaires, puis nous remportons un prix à la tombola. Tout n’est pas perdu !

Miam miam; glou glou Steel pan Même par 30° le bonnet de Noël est de rigueur

En discutant avec un autre équipage, on apprend que la personne qui travaille à l’immigration, travaille dans les deux ports. Mince, mon plan de roublard tombe à l’eau ! Que faire ?!

Si on redescend à Trinidad ou Grenade, les éléments seront en notre faveur, mais nous ne pourrions plus revenir à Tobago, avec le vent et le courant qui nous feraient front. Autre possibilité : aller à la Barbade. Ca ne sera pas une navigation facile, mais nous pourrions revenir visiter Tobago. L’aperçu que nous avons eu de Tobago nous a vraiment bien plu, alors la décision est prise : demain nous partirons pour la Barbade !

Au revoir, Tobago !

Jolly Jumper en vadrouille
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